Respect de l’obligation patronale de « 1,5 % tranche 1 » : une nouvelle illustration jurisprudentielle
Le sujet est mal connu, fait l’objet de peu de décisions jurisprudentielles et pourtant les enjeux sont particulièrement importants pour les entreprises, comme vient de le rappeler la Cour d’appel de Douai le 8 février 2024.
Pour rappel, les employeurs ont l’obligation de s’acquitter, au bénéfice de leur personnel cadre et assimilé, d’une cotisation minimale égale à 1,50 % du salaire limité au plafond de la sécurité sociale (auparavant tranche A ou T1 désormais) .
Ce principe existe depuis 1947 (l’ancien article 7 de la convention collective de retraite et de prévoyance des cadres de 1947 dénommé « Avantages en matière de prévoyance ») et il a été repris par l’article 1er de l’Accord National Interprofessionnel du 17 novembre 2017 lors de la fusion Agirc/Arrco.
Synthèse des principes
Pour chaque cadre, il faut s’assurer qu’il est bénéficiaire d’une cotisation patronale (exclusivement) de « 1,5 tranche 1 » en prévoyance et que plus de la moitié de cette cotisation obligatoire (soit 0,76 %) est affectée à la couverture du risque décès. Le surplus, s’il en existe un, peut être consacré à une autre couverture de type frais de santé, incapacité ou invalidité.
Si la prévoyance en entreprise regroupe l’ensemble des garanties collectives dont bénéficient les salariés, les anciens salariés et leurs ayants droit en complément des prestations servies par la sécurité sociale en couverture des risques liés à l’atteinte à l’intégrité physique (maladie, accident), la maternité, l’incapacité de travail, l’invalidité, le décès, mais également du risque d'inaptitude et du risque chômage
, les précisions de la Cour de cassation ont admis le 30 mars 2022 que les frais de santé pouvaient effectivement être compris dans l’assiette de cette cotisation de prévoyance des Cadres (les fameux 1.5 tranche A du salaire
).
- Si cette obligation n’est pas respectée, la sanction est lourde en cas de décès du cadre : l’entreprise sera tenue de verser aux ayants droit, un capital égal à 3 fois le PASS.
- La sanction est d’autant plus sévère que ce qui est sanctionné, c’est le simple fait pour l’employeur de ne pas pouvoir justifier de la souscription d’un contrat comportant cette cotisation.
- Si le Chef d’entreprise croit être bénéficiaire d’un contrat d’assurance « plus favorable » parce qu’il cotiserait par exemple à moins de « 1,5 tranche 1 » (pour des garanties équivalentes), il risque malgré tout de se voir sanctionner (toujours par le versement d’un capital décès égal à 3 fois le PASS, montant qui viendrait en sus du capital prévu dans son contrat
plus favorable
).
Décision de la Cour d'appel de Douai
L’attention de l’entreprise est donc essentielle quant au respect de cette obligation de cotisation pour ces cadres, ce d’autant que la Cour d’appel de Douai vient d’admettre le 8 février 2024 qu’au-delà de ces 3 PASS
de sanction, les ayants droit peuvent solliciter, en plus, une indemnisation complémentaire dans certains cas.
Les faits de cette affaire sont assez simples : un salarié est promu cadre et son employeur cotise auprès de l’organisme de prévoyance au titre des 1,5 tranche 1
. Ce qui est tout à fait normal.
Au moment de son décès, ses ayants droit découvrent que ce salarié n’avait pas été affilié au contrat de prévoyance en qualité de cadre. Ils décident alors d’assigner l’entreprise devant le Tribunal Judiciaire (TGI au moment des faits) pour obtenir notamment les sommes dues au titre de la garantie décès (des cadres) et voir reconnaitre également la négligence fautive de l’employeur.
En première instance, les ayants droit obtiennent gain de cause et les magistrats condamnent l’employeur au paiement de l’indemnité de 3 PASS
(en faisant déduction des sommes déjà perçues).
La Cour d’appel de Douai renforce les condamnations en reconnaissant que s’il existe effectivement une sanction pour le non-respect par l’employeur de son obligation et le versement du capital décès « cadre », rien n’empêche d’envisager une réparation intégrale pour tenir compte du préjudice réellement subi par les ayants droit.
Les juges constatent qu’il n'est pas sérieusement contesté que Monsieur X a été affilié à la société Y comme employé mais pas comme cadre, alors qu'il bénéficiait de ce statut dans l'entreprise depuis le 1er janvier 2010. La faute de négligence commise par l'employeur est ainsi suffisamment établie.
Cette négligence fautive va d’ailleurs conduire la Cour d’appel à écarter toute prise en charge par l’organisme de prévoyance, quand bien même ce dernier a perçu des cotisations.
De ce fait, la Cour d’appel de Douai va procéder à une évaluation du préjudice
en deux actes : l’un financier et l’autre moral, puisque selon elle : en vertu de l'article 1382 ancien (du Code civil), le principe de réparation intégrale du préjudice conduit à replacer les victimes dans la situation où elles se seraient trouvées, sans pertes ni profits pour elles-mêmes, si l'acte dommageable n'avait pas eu lieu.
Les circonstances de l’espèce sont bien évidemment révélatrices de cette prise de position puisque la veuve s’était retrouvée seule avec plusieurs enfants en bas âge suite au décès de son compagnon.
Les ayants droit ont ainsi obtenu en plus du capital décès réévalué, la reconnaissance du préjudice moral de la veuve évalué à 5 000 €.
Il convient donc d’être particulièrement vigilant sur la mise en œuvre de cette obligation de 1,5 tranche 1
, un audit pouvant permettre d’éviter de lourdes sanctions.