Réforme de l'assiette sociale des indépendants : quels impacts chiffrés sur la protection sociale des dirigeants ?
Avec l’objectif de renforcer la part de cotisations contributives des indépendants et d’aligner le calcul de leurs cotisations sur celui des salariés, la réforme de l’assiette sociale introduit une base unique, dite assiette super brute. Si ce nouveau cadre augmente relativement les droits (notamment à la retraite) des indépendants, ces derniers sont toujours très peu couverts par les risques lourds et immédiats que sont l’incapacité, l’invalidité ou le décès. Alors que les dirigeants peuvent être exposés à des pertes de revenus significatives mal compensées par les régimes obligatoires, la prévoyance individuelle s’impose comme un levier essentiel de protection. Explications.
Ce que change vraiment la réforme de l’assiette sociale
La réforme de l’assiette sociale des indépendants, prévue par l’article 18 de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2024 (applicable en 2026 après déclaration des revenus 2025), unifie la base de calcul des cotisations sociales et de la CSG-CRDS. Son objectif est double : simplifier les modalités de calcul et renforcer la part des cotisations contributives - qui ouvrent notamment des droits à la retraite -, tout en baissant celle des contributions non génératrices de droits.
L’ensemble des cotisations sociales sera ainsi calculé sur une assiette unique alignée sur celle de la CSG/CRDS. Cette assiette est calculée sur la base du chiffre d’affaires moins les charges de l’entreprise. Un abattement forfaitaire de 26 % est ensuite appliqué à cette base. Il est encadré par un plancher (égal à 1,76 % du PASS, soit 829 € en 2025) et un plafond (égal à 130 % du PASS, soit 61 230 € en 2025).
En conséquence, à revenu constant, la CSG/CRDS baisse, tandis que les cotisations retraite augmentent, dans l’objectif d’améliorer les droits futurs sans surcoût global immédiat.
Toutefois, les travailleurs indépendants forment un ensemble hétérogène : chaque catégorie relève de régimes sociaux distincts, avec des taux de cotisations variables. L’impact de la réforme ne sera donc pas uniforme, en particulier pour les indépendants percevant des revenus élevés, qui se heurteront à un plafonnement des droits à la retraite de base et complémentaire que les cotisations leur ouvrent.
Illustration : prenons différents cas de figure de revenus, pour un entrepreneur artisan
Super brut (en euros) | 30 000 | 40 000 | 50 000 | 60 000 | 90 000 | 150 000 | 250 000 | 350 000 | 500 000 |
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Surcoût cotisations sociales (en euros) | 41 | -53 | -1 | 86 | -41 | -123 | 194 | 2 410 | 5 816 |
Surcoût revenu imposable IR (en euros) | -209 | -172 | -280 | -424 | -467 | -728 | -1 504 | -3 571 | -6 665 |
Gain IJ par jour (en euros) | 0,43 | 1,37 | 1,99 | 2,71 | - | - | - | - | - |
Gain pension invalidité 2e catégorie par mois (en euros) | 13,04 | 41,79 | 60,42 | 82,42 | - | - | - | - | - |
Gain retraite de base par mois (en euros) | 13 | 42 | 60 | 82 | - | - | - | - | - |
Gain retraite complémentaire par mois (en euros) | 1,38 | 2,04 | 2,62 | 3,24 | 4,62 | 6,06 | 10,49 | 10,49 | 10,49 |
Par ailleurs, si la réforme cherche à mieux protéger les indépendants en rapprochant leur régime de celui des salariés, elle ne règle pas pour autant les nombreuses insuffisances en matière de prévoyance qui concernent l’ensemble des dirigeants, à la fois indépendants et assimilés salariés.
Dirigeants : une protection très partielle face aux risques lourds
La protection sociale des dirigeants est, en effet, largement insuffisante face aux risques tels que les arrêts de travail, l’invalidité ou encore le décès. Ces risques lourds sont couverts par les régimes obligatoires, mais dans des proportions qui ne permettent pas de maintenir un niveau de vie équivalent, ni de sécuriser financièrement leurs proches, eux-mêmes, ou l’activité de leur entreprise.
En cas d’arrêt maladie
Les indemnités journalières sont versées sous conditions, selon des modalités qui varient en fonction du statut du dirigeant.
- Indépendants : la Sécurité sociale prévoit une indemnité journalière maximale de 64,52 €/jour en 2025. Elle est calculée sur 1/730e du revenu d’activité annuel moyen des trois dernières années, plafonnée au PASS en vigueur (soit 47 100 € au 1er janvier 2025). Lorsque les revenus d’activité indépendante sont bas, les indemnités journalières versées en cas d’arrêt maladie ou maternité peuvent être très limitées, voire inexistantes. Aucune indemnité n’est versée si le revenu annuel moyen (RAAM) des trois années civiles précédant l’arrêt est inférieur à 10 % de la moyenne des PASS sur cette même période. Pour 2025, ce seuil est fixé à 4 383,20 €. Pour pouvoir bénéficier d’indemnités journalières, le dirigeant doit justifier d’au moins 12 mois d’affiliation continus dans cette activité (ou sous conditions, au titre d’une activité antérieure).
- Dirigeants assimilés salariés : soumis au régime général, ils perçoivent 50 % de leur salaire journalier de base, dans la limite de 41,47 €/jour en 2025. Pour un arrêt de travail de moins de 6 mois, il faut avoir travaillé au moins 150 heures au cours des 3 mois précédant l'arrêt, ou avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 12 058, 20 € au cours des 6 mois précédents. Pour un arrêt de travail de 6 mois ou plus, il est nécessaire d’être affilié à la CPAM depuis au moins 12 mois, et d’avoir travaillé au moins 600 heures ou cotisé sur un salaire au moins égal à 24 116, 40 € au cours des 12 mois précédents.
En cas de décès
Lorsqu’un travailleur indépendant décède, un capital décès est prévu pour aider financièrement ses ayants droit à faire face aux conséquences immédiates (frais d’obsèques, perte de revenus, charges familiales). En 2025, ce capital est fixé à 9 420 €. Pour en bénéficier, l’assuré doit être affilié à la Sécurité sociale depuis au moins 12 mois à la date du décès, ne pas avoir atteint l’âge légal de départ à la retraite, ne pas percevoir de pension de retraite, et avoir un RAAM sur les trois dernières années, supérieur à 10 % du PASS moyen de ces trois ans. En complément, un « capital orphelin » spécifique par enfant à charge peut être versé. Il s’élève à 2 355 € pour un enfant ayant moins de 16 ans, ou moins de 20 ans si en formation initiale ou apprentissage, ou sans limite d’âge dans le cas où il perçoit l’allocation pour enfant handicapé.
Du côté des assimilés salariés, le régime général prévoit le versement d’un capital forfaitaire aux ayants droit. Ce montant est de 3 977 € en 2025 si le dirigeant décède alors qu’il est encore affilié au régime.
Le régime complémentaire, quant à lui, peut offrir une couverture plus significative, notamment via la garantie décès obligatoire dite « 1,50 % cadre ». Cette disposition impose à l’employeur de cotiser à hauteur de 1,50 % de la tranche 1 du salaire brut pour les cadres pour financer des garanties de prévoyance, en affectant la majorité de la cotisation à des prestations décès (capital décès, rente de conjoint, rente éducation. L’autre part de cotisation finance en général des garanties invalidité et incapacité.
En cas d’invalidité
Les travailleurs indépendants et assimilés salariés peuvent bénéficier d’une pension d’invalidité en cas d’incapacité partielle ou totale à exercer leur activité, à trois conditions : être affilié à la Sécurité sociale depuis au moins 12 mois à la date de constatation médicale, justifier d’un minimum de cotisations (pour un assimilé salarié : avoir cotisé sur un salaire au moins égal à 2030 fois le Smic horaire ou avoir travaillé au moins 600 heures ; pour un indépendant : avoir cotisé au cours des 3 années civiles précédentes sur un revenu d’activité annuel moyen au moins égale à 10 % de la moyennes des PASS des 3 dernières années) et justifier d’une réduction de la capacité de ou de gain d’au moins 2/3. Le montant de la pension dépend de la catégorie d’invalidité :
- Catégorie 1 : 30 % du RAAM des 10 meilleures années (activité partielle possible), plafonné à 1177,50 € par mois ;
- Catégorie 2 (incapacité totale) : 50 % du RAAM, plafonné à 1 962,50 € par mois ;
- Catégorie 3 : 50 % du RAAM + majoration tierce personne, plafonnée à 1 288,13 € par mois.
En complément, les dirigeants assimilés salariés peuvent bénéficier d’une prévoyance collective complémentaire.
Une protection insuffisante reconnue par les dirigeants
Chaque année, l’Institut de sondage CSA réalise un baromètre* auprès des indépendants et dirigeants de TPE, afin de mesurer leur perception de la prévoyance, leurs motivations, mais aussi leur taux de souscription. Les chiffres de la dernière étude en date (2024) donnent un éclairage intéressant sur le sujet.
Une conscience des risques
- 61 % des indépendants déclarent ne pas pouvoir maintenir leur niveau de vie plus d’un mois en cas d’arrêt de travail, s’ils devaient compter uniquement sur leur régime obligatoire ;
- 70 % des dirigeants estiment être mal protégés par leur régime de base ;
- Pourtant, seuls 31 % connaissent précisément leur niveau de couverture en cas d’arrêt de travail.
Bien que réalisés sur un panel réduit (moins de 500 personnes), ces chiffres confirment le décalage entre la perception des risques et l’action réelle, que ce soit par méconnaissance ou par manque d’accompagnement adapté.
Un taux de souscription encore faible, en légère progression
- Le taux de souscription à une prévoyance individuelle atteint 45 % en 2024, en hausse par rapport à l’année d’avant (41 %) ;
- Ce taux varie fortement selon le revenu : 79 % des indépendants gagnant plus de 60 000 € par an sont équipés, contre seulement 39 % pour ceux en dessous de 40 000 € par an ;
- Le frein principal resterait le prix du contrat (cité par 61 %), mais pour les indépendants aux revenus plus élevés, la principale raison serait l'absence de proposition concrète ;
- Toutefois, un dirigeant sur deux considèrerait désormais la prévoyance comme une protection utile, et non comme une charge.
Vers un conseil personnalisé
Dans ce contexte, le bon conseil est d’initier une revue proactive des portefeuilles clients, en ciblant particulièrement les artisans-commerçants non équipés d’un contrat de prévoyance individuelle, les dirigeants assimilés salariés notamment les cadres bénéficiant uniquement de la garantie « 1,50 % », souvent insuffisante ainsi que tous les dirigeants n’ayant jamais réalisé de bilan complet de leur protection sociale.
Un bilan permet d’évaluer précisément les risques couverts, les écarts de protection selon les statuts et revenus, et les leviers à activer pour sécuriser la continuité d’activité, le niveau de vie et le patrimoine professionnel. La complexité des règles d’indemnisation (notamment entre indemnisation forfaitaire et indemnitaire, durée d’indemnisation, barèmes d’invalidité, exclusions de garantie) rend ainsi indispensable l’appui d’un professionnel spécialiste.
Source Prévissima pour l’Alliance KLESIA Generali
*Source metlife.fr/partenaires/etude-csa-prevoyance/